par Angela Biancofiore, Professeur, Université Paul-Valéry Montpellier 3
Un changement sans
précédent voit le jour dans l’Education nationale : la nouvelle plateforme ParcourSup oblige les
lycéens à bien se « vendre » pour pouvoir être acceptés au sein de
l’université. Une lettre de motivation est demandée pour chaque filière, un cv
et des informations détaillées sur les
notes et appréciations figurant dans le bulletin scolaire.
Le lycéen est
pratiquement obligé de se « faire aider » par les parents ou par des
sociétés qui lui proposent des services pour 100€ minimum. Récemment, la
directrice du Département d’Anglais dans notre Université de Montpellier 3 a
reçu une élégante mallette provenant de
Cambridge de la part d’une société privée qui proposait ses services aux
étudiants et aux lycéens.
Le savoir a un prix, le
savoir est considéré à tort comme une arme de discrimination et de sélection.
Par notre mobilisation, nous voulons libérer
le savoir de sa conception « utilitariste » pour revendiquer notre statut d’enseignant-chercheur au sein d’une
université ouverte et solidaire.
Les sociétés qui visent
la privatisation de l’enseignement savent très bien que c’est une grosse
affaire, l’université c’est rentable !
On peut donner l’exemple
des USA où les parents doivent souvent s’endetter pour envoyer leurs enfants à
l’école et à l’université (10 000 $ environ dans une université comme
CUNY, New York, 40 000 $ à Harvard), ou bien c’est les étudiants qui
s’endettent pour pouvoir payer leurs études.
Notre gouvernement a pour
objectif (à peine caché) la sélection des élèves, en particulier ceux qui sont
en bac pro, et la hausse à court terme des frais d’inscription : une
libéralisation des politiques d’accueil et des frais d’inscription dans les
différentes universités françaises qui sont déjà mises en concurrence.
Un lycéen doit pouvoir
sélectionner la filière de son choix, il a aussi le droit de se tromper, de
comprendre quel est le chemin à suivre. Il a le droit de s’instruire, de
découvrir d’autres savoirs, d’autres champs de connaissance. Il est à
l’université pour un apprentissage actif, où lui aussi participe à la
construction de nouveaux savoirs.
La recherche scientifique
et technologique avance très vite, ses résultats ne sont pas tellement
divulgués dans la société, mais ce qui est plus effrayant c’est que la
recherche risque d’être subordonnée de plus en plus à la logique marchande.
Or, nous enseignants-chercheurs,
administratifs et étudiants de l’université Paul-Valéry et d’autres universités
mobilisées aujourd’hui en France, nous réclamons le droit de dire
« non » à ce type de savoir qui discrimine au lieu d’unir, un savoir
au service du profit.
Le savoir est avant tout
un bien commun, et l’enseignement un travail relationnel, tout se passe dans
la relation.
A l’heure où j’écris
l’une de mes étudiantes vient de tenter le suicide : ce n’est pas un cas
isolé, l’an dernier aussi une autre étudiante a fait la même chose. Comment
expliquer cela ? Nous observons aujourd’hui une immense crise de
valeurs : les jeunes ont besoin de valeurs « durables » comme
l’entraide, la fraternité, la solidarité. Cela ne pousse pas spontanément, cela
se cultive.
Un savoir ouvert, une
université où chacun a le droit de s’exprimer et de choisir sa voie en
adéquation avec ses qualités est absolument indispensable dans un monde fragile
où la société civile peut rapidement se décomposer sous les coups réitérés des
actes de violence de tout genre (y compris d’origine terroriste).
La violence se répand là
où il y a l’ignorance et l’individualisme forcené. Notre société est dominée
par une immense violence économique, avec ses mesures cyniques et ses
licenciements en masse dictés par le souci d’augmenter les bénéfices des
actionnaires.
Cette violence est vécue
au jour le jour par les gens, par les jeunes en particulier, par les plus
fragiles, elle est fortement ressentie dans leur corps, au sein de leur
conscience, et joue un rôle actif dans leur existence.
Nous sommes face à un
gouvernement qui augmente les subventions
pour l’armée mais diminue le budget de l’éducation : on observe une diminution drastique des postes de
professeurs des écoles dans notre région, une baisse considérable des postes au
concours de professeurs (dans toutes les disciplines)[1].
Cela nous montre clairement le but du ministère : appauvrir les universités sous le masque d’une prétendue autonomie,
précariser les jeunes professeurs jusqu’à la suppression définitive du CAPES et de l’agrégation (comme en Italie par
exemple), augmenter les frais d’inscription, amener les jeunes à s’endetter
(comme en Angleterre et aux USA), transformer
leur bourse en prêt étudiant. Un économiste pourrait déjà
faire le calcul de l’immense chiffre d’affaire qui se cache derrière cette
manœuvre.
Par cette mobilisation,
nous réclamons le droit à la parole
contraire, nous voulons freiner cette accélération vertigineuse de la
machine.
Nous, comme d’autres
secteurs de la société (cheminots, agriculteurs, hôpitaux).
La lutte sera longue,
cela va demander un effort constant car les investisseurs qui songent à des
universités privées n’ont pas de temps à perdre, ils veulent faire fructifier
l’argent. Nous, les gens ordinaires, nous ne sommes pas dans leur course
effrénée.
Au sein d’un monde de la
démesure, nous réclamons la ré-humanisation des rapports de travail et la re-valorisation de l’acte même d’enseigner :
afin d’ouvrir la voie et pas la fermer, ouvrir un horizon de possibilités à
notre jeunesse et – dans une relation de confiance – lui transmettre des valeurs durables.
[1] Au Capes, le
nombre de postes est stable pour quelques langues rares, mais baisse partout
ailleurs. En japonais, catalan, il suffit de la suppression d’un ou deux postes
pour que la baisse atteigne 50 %. Les disciplines qui recrutent le plus
d’enseignants sont fortement impactées : environ 18 % de baisse des
postes en mathématiques, 19 %
en lettres modernes, 20 % en anglais et histoire-géo,
23 % en sciences de la vie et de la terre,
28,5 % en documentation et même 37,5 % en arts plastiques.
(Le monde 4/12/2017 http://www.lemonde.fr/campus/article/2017/12/04/capes-et-agregation-2018-la-baisse-du-nombre-de-postes-discipline-par-discipline_5224472_4401467.html)
Pour le concours de Professeur des écoles : « Alors
que le nombre de postes proposés au concours était en hausse régulière depuis
2013, le nouveau gouvernement a fait le choix de la rupture en supprimant 1161
places pour les concours 2018. Cette baisse porte essentiellement sur le
concours externe (-1196 postes) » http://neo.snuipp.fr/crpe-la-repartition-des-postes-aux,602.
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